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De la force du groupe

 

 

 

 

 

 

Par Gonzague Masquelier

 

Sur Mieux-Etre.org nous considérons qu’il est nécessaire et utile pour tous les professionnels de la relation d’aide de bénéficier d’une supervision individuelle et/ou de groupe.

 

Gonzague Masquelier partage dans cet article son expérience de superviseur d’un groupe de Gestalt-thérapeutes.

 

Il donne des repères sur le fonctionnement groupal et aborde :
 

- la difficile question de la confiance. Comment établir un cadre sécurisé qui permette à chacun d’aborder ses difficultés sans peur du jugement ?

 

- "l’effet Pygmalion" : le regard positif du superviseur et des participants aide le thérapeute à s’affirmer ;

 

- les quatre fonctions de la supervision : les apports théoriques et méthodologiques, le repérage psychopathologique, la mise en lumière du contre-transfert et ce qu’il appelle "la fonction poubelle", à savoir la possibilité d’évacuer la fatigue, la lassitude parfois.

 

J’anime un groupe de supervision gestaltiste depuis une vingtaine d’années, ou plus précisément je l’ai animé seul pendant quatre ans et le co-anime avec Brigitte Martel depuis seize ans.

Je donne également des supervisions individuelles, mais dans cet article, je me limiterai à mon expérience groupale.

 

Précisons d’abord quelques modalités pratiques : ce groupe se réunit deux journées consécutives tous les deux mois.

Les entrées ne se font qu’en janvier et l’engagement se prend pour une année au minimum.

Concrètement, les participants restent en moyenne trois ou quatre ans, parfois beaucoup plus  le fait d’être deux superviseurs, en offrant un double regard, d’un style différent et complémentaire, favorise cette stabilité.

Se retrouver six fois par an permet d’offrir un temps fort de supervision (deux jours) mais présente une difficulté en cas d’urgence avec un client difficile : dans ce cas, le thérapeute demande une séance en individuel ou un rendez-vous téléphonique.

Nous travaillons avec une alternance de grand groupe (dix-huit personnes) et de demi-groupes, choisis librement.

 

Voici quelques réflexions tirées de ma pratique.

 

I) La difficile question de la confiance

 

S’il existe une condition fondamentale et primordiale pour la supervision, c’est bien celle de la confiance.

Un tel climat ne se décrète pas, mais se tisse au jour le jour, entre les participants et le superviseur, mais également entre les participants.

Or il y existe une différence émotionnelle importante entre un groupe de thérapie et un groupe de supervision :


- en thérapie, lorsqu’une personne travaille sur ses difficultés (une impasse existentielle, un traumatisme…) et plonge dans ses émotions,

elle suscite en général de la compassion ; chacun retrouve ses propres difficultés (empathie) et développe une solidarité bienveillante.

 

- en supervision, lorsqu’une personne apporte un cas difficile, les autres membres du groupe sont souvent connectés à une forme d’anxiété

   (et si cela m’arrivait ?)

 

Pour se protéger, les participants peuvent avoir le réflexe de se démarquer, de poser des jugements de valeur (il aurait dû agir autrement !), de se réfugier dans des explications et interprétations parfois blessantes alors que le thérapeute en difficulté est particulièrement vulnérable.

Des phénomènes de rivalité peuvent également apparaître.

 

Le superviseur doit donc veiller à ce que les feed-backs ne soient pas conjugués au conditionnel passé (si tu avais dit cela, alors le client aurait… ou pire si j’avais été à ta place). La perspective gestaltiste du champ est alors bien utile : un autre thérapeute aurait généré une autre situation…

Mais cette vigilance du superviseur n’est pas suffisante ; elle doit s’accompagner, à mon sens, d’un travail sur la résonance émotionnelle.

De quelle manière ce que le thérapeute vient de travailler touche les autres participants (et le superviseur) dans leur « être au monde » professionnel et personnel ?

Lorsque la confiance existe, alors la confrontation peut émerger : il ne s’agit pas de rassurer, de flatter l’ego du thérapeute, mais d’être rigoureux et précis, bref de l’aider à découvrir le meilleur de lui-même.

 

Le superviseur n’est donc pas "l’expert" censé tout savoir, mais il doit avoir développé une "expertise clinique" pour générer de la confiance ainsi qu’une expertise en dynamique de groupe, car sans cela un groupe de supervision pourrait devenir maltraitant, voire sauvage.

Au contraire, un groupe bien géré développe par lui-même une fonction supervisante qui suscite souvent mon étonnement et mon admiration.

Le travail de l’un initie et facilite le travail des suivants et les séquences s’enchaînent dans la même tonalité.

 

Le travail sur la honte (je ne suis pas bon) ou sur la culpabilité (je n’aurais pas dû) me semble fondamental pour construire cet espace de confiance,

pas à pas. Lorsque chacun a pu expérimenter qu’il peut se « mettre à nu », qu’il peut explorer ses zones d’ombres, partager ce qu’il vit comme un échec… et qu’il peut se nourrir de bienveillance, de retours éclairants, bref qu’il peut sortir grandi de son travail, alors la confiance (au sens latin du terme, confidere, croire ensemble) s’enracine dans le groupe.

La "longévité" des participants est une aide en ce domaine : les anciens sécurisent les nouveaux, et ces derniers, par leurs questionnements parfois confrontants, apportent de salutaires remises en cause…

 

II) Deux manières d’envisager la supervision

 

Le verbe superviser peut décrire deux manières de travailler :


- soit il fait référence à la posture du superviseur, qui "regarde de haut" le travail du participant ; ce professionnel est envisagé comme "supérieur hiérarchiquement". Il est censé détenir l’expérience et le savoir. Il peut guider, orienter, conseiller.

Une métaphore possible serait celle des poupées russes : une grande matriochka, le superviseur, qui contient le groupe, qui contient le thérapeute,

qui lui-même contient le client.

Mais alors, qui supervise et nourrit le superviseur ? 


- soit il indique que le thérapeute, avec le support du groupe et du superviseur, peut s’élever, regarder d’un point de vue différent son propre travail, bref "prendre de la hauteur". J’imagine une sculpture "à la Rodin" : un groupe de participants, tous différents, avec chacun leur style et leur histoire,

un superviseur, reconnaissable mais inclus dans ce groupe, portant à bout de bras un thérapeute qui regarde son client avec un œil neuf.

 

C’est cette image qui fonde ma pratique, nourrie par la phénoménologie gestaltiste qui valorise l’émergence de ce qui est là et prend en compte la personnalité du thérapeute, celle des participants et celle du superviseur.

 

III) L’effet Pygmalion

 

Selon la légende, le sculpteur Pygmalion créa une statue de femme d’une telle beauté qu’il en tomba amoureux ; Aphrodite, sensible à cet amour, donna la vie à ce marbre.

Cette légende n’est pas le reflet de ce qui se passe dans le groupe : le superviseur ne "façonne" pas le thérapeute, bien évidemment, mais je la cite pour l’utilisation scientifique du terme : en pédagogie, c’est Rosenthal qui a étudié "l’effet Pygmalion".

 

Rappelons brièvement son expérience. Ce chercheur constitue au hasard deux lots de six rats qu’il confie à deux classes d’étudiants.

 

Au premier groupe, il annonce que ces rats ont été sélectionnés sur des critères génétiques sévères et qu’ils développeront certainement des performances exceptionnelles dans un labyrinthe.

 

Au second groupe, il prétend que ces animaux sont médiocres et que les résultats risquent d’être décevants.

Les tests effectués par les étudiants valident ses prophéties : les rats du premier lot développent des compétences remarquables, ceux du second lot stagnent.

 

Après analyse, le chercheur découvre que les membres du premier groupe ont choyé leurs animaux, manifestant de la sympathie et des encouragements. Ceux du second groupe, influencés par le mensonge de Rosenthal, ne les ont guère valorisés.

 

Que mes "supervisés" me pardonnent cette comparaison osée avec des rats dans un labyrinthe !

Mais je constate souvent que mon regard positif de superviseur, la valorisation des qualités intrinsèques de chaque thérapeute, surtout lorsqu’il est débutant et doute de ses compétences, est un puissant adjuvant dans la lente maturation professionnelle.

 

Ce "regard de Pygmalion-superviseur" ne signifie pas la complaisance, la démagogie ou la facilité, car il perdrait alors son effet positif en s’affadissant.

 

IV) Quatre fonctions de la supervision gestaltiste

 

Il me semble que toute supervision offre quatre tonalités principales ; les superviseurs que je connais travaillent tous avec ces quatre couleurs mais ont parfois des teintes préférées, comme on parlerait des jaunes de Van Gogh ou du bleu de Klein.

 

1) Les apports théoriques et méthodologiques

 

Cette facette de la supervision est souvent réclamée par les jeunes thérapeutes.

Elle prend parfois une forme maladroite : par exemple, que faut-il faire avec une boulimique ? en oubliant qu’en Gestalt, nous ne pouvons pas répondre à une question aussi générique.

Mais nous ne devons pas évacuer, d’abord l’anxiété qui est sous-tendue par une telle question, mais également la soif légitime de repères théoriques.

Il me semble alors intéressant de profiter de cette demande pour réactualiser ou compléter ce qui a été appris en formation didactique, alors que l’étudiant n’avait pas encore de client.

C’est un prolongement plus incarné de la période de formation. La théorie s’enrichit alors de l’expérience des uns et des autres, peut s’illustrer de cas vécus, bref prend une coloration tout autre. Ce n’est plus le "prof qui parle", mais le groupe qui élabore.

 

Il s’agit parfois de demande d’expérimentations nouvelles : nous partons alors dans la créativité, le brainstorming, afin que chacun élargisse sa palette d’outils ou découvre d’autres manières de s’impliquer.

D’autres fois, nous pouvons travailler sur "quel message mettre sur le répondeur ?"

ou bien "faut-il et comment entretenir des liens avec un psychiatre ?"

Le piège serait alors de donner des recettes ou des modèles à introjecter, mais le partage d’expériences est souvent enrichissant.

L’intérêt n’est pas d’additionner des points de vue différents, ce qui se limiterait à élargir la réflexion, mais plutôt de confronter ces points de vue afin que de nouvelles figures émergent, figures qui enrichissent toutes les personnes du groupe, y compris le superviseur !

 

2) Le repérage psychopathologique

 

Ce travail me semble très important.

La supervision en psychopathologie gestaltiste n’est pas une recherche nosographique : il ne s’agit pas "d’étiqueter" le client (le thérapeute se mettant en position d’observateur) même si parfois la tentation est grande !

Il s’agit de chercher ce qui émerge dans la situation thérapeutique.

Par exemple, un client n’est pas hystrionique à lui tout seul ; le thérapeute par sa présence, sa manière d’être, contribue à ce qu’une facette de la personnalité du client colore la relation.

Nous regardons alors les résistances, les manifestations dites psychopathologiques, comme une manière, parfois la meilleure manière, que le client trouve pour "être en contact", même si cette réponse est inadaptée ou rigidifiée.

 

Il est utile que chacun connaisse les grandes classifications de la psychopathologie, car elles facilitent la réflexion théorique, comme le solfège est précieux aux musiciens.

Mais il est fondamental que le groupe s’imprègne de la perspective gestaltiste, à savoir que la psychopathologie est à regarder à la fois dans la relation client-thérapeute mais également dans le champ ici-présent, à savoir dans le système "thérapeute-groupe-superviseur".

Pour l’écrire autrement, ce qui se joue entre le client et son thérapeute se manifeste souvent dans la séance de supervision.

 

Les jeux de rôle – quand le thérapeute prend la place de son client par exemple – donnent l’opportunité au "supervisé" de mettre en scène ce qu’il ressent, au lieu de simplement en parler. Le travail émotionnel, la créativité à travers un dessin ou le choix d’un objet, permettent d’intensifier l’implication, de traverser les peurs, de sortir de la réflexion trop cartésienne et facilitent l’émergence de nouvelles figures.

 

Et parfois le "plus fou" des deux, du client et du thérapeute, n’est pas celui que l’on croit !

 

3) La mise en lumière du contre-transfert

 

La supervision permet de prendre conscience des manifestations contre-transférentielles qui viennent teinter la relation thérapeutique.

Certaines ont un effet favorable (l’effet Pygmalion par exemple), mais d’autres viennent freiner le déroulement du travail et il est indispensable de les visiter.

On peut distinguer de nombreuses variantes du contre-transfert mais je me limiterai à deux formes : d’une part la réaction au transfert du client

(positif ou négatif) et d’autre part la réactivation d’une problématique de l’histoire du thérapeute.

 

Employons à nouveau une image : pendant la séance, le thérapeute est un miroir pour le client qui peut ainsi se découvrir (avec toutes les acceptions du terme) ; le superviseur tend de même un miroir au thérapeute pour qu’il envisage de nouvelles perspectives.

 

Attention : il ne s’agit pas d’une prolongation de la thérapie du thérapeute, même si la supervision contre-transférentielle a un effet thérapeutique.

Mais le "psy" est un homme ou une femme, avec son histoire, ses blessures, ses joies. Il ne se désincarne pas en entrant dans son cabinet de consultation.

 

L’approche gestaltiste, en favorisant le travail dans le champ, en suscitant l’implication contrôlée du thérapeute, rend indispensable ce travail contre-transférentiel afin que le professionnel ne projette pas son vécu et ses croyances sur le client, ou du moins qu’il repère ses projections pour qu’elles ne soient pas un frein au déroulement de la cure thérapeutique.


C’est pour cette raison que nous proposons parfois de véritables séances d’implication émotionnelle, durant lesquelles le thérapeute mobilise les participants – pour "jouer le client" bien sûr – mais convoque également des représentants de sa propre famille par exemple.

Il y a parfois plus de monde pour représenter l’entourage affectif du thérapeute que celui du client !

 

Souvent l’insight arrive : "bon Dieu, mais c’est bien sûr !" et tout s’éclaire, comme si l’on allumait un projecteur dans l’arrière-scène d’un théâtre.

Bien évidemment, le superviseur est lui-même un être humain qui vit un contre-transfert différent avec chacun de ses supervisés… et qui doit se remettre en cause en permanence.

 

4) La fonction poubelle

 

Lorsque j’évoque cette quatrième et dernière facette de la supervision, on me suggère souvent de trouver un mot plus poétique…

Mais je tiens à ce terme qui souligne le nécessaire besoin "d’évacuer", que ce soit le stress, la fatigue, la lassitude parfois.

Le cadre sécurisant et le secret en supervision nous y autorisent : on peut tout dire, tout faire, tout jouer, même nos sentiments les plus inavouables, au sein de ce lieu protégé. L’effet de la catharsis émotionnelle est revigorant pour le thérapeute — la réserve de mouchoirs n’est jamais loin !

Chacun peut exprimer ses désirs, ses frustrations, se moquer d’un client qui le met en difficulté, bref, "tirer la chasse d’eau" de ce qui l’encombre.

 

Cette proposition de deux journées entières de supervision me semble offrir un rythme bien adapté pour ce nécessaire "coup de balai" et la dernière

après-midi est souvent celle du "grand nettoyage" !

 

Le supervisé peut se laisser porter par l’énergie du groupe, peut rire et pleurer sur sa vie professionnelle.

L’humour est un merveilleux tonique et je constate que dans ce groupe de supervision, nous rions beaucoup.

 

En concluant ce partage d’expérience, je me retourne sur mes vingt années de superviseur et constate avec émotion qu’elles ont bercé et nourri ma vie professionnelle.

 

Dans ce groupe, que certains thérapeutes fréquentent depuis tant d’années, je me sens créatif, ose des approches novatrices, prend le risque de la provocation parfois, car je sais que la confiance et le respect existent. Nous nous sommes mutuellement fait grandir : l’effet Pygmalion fonctionne dans les deux sens ! C’est donc à vous, participants du groupe de supervision, ainsi qu’à ma co-animatrice, que je dois cette belle aventure et je vous en remercie…

 

Gonzague MASQUELIER

Directeur de l’Ecole Parisienne de Gestalt (voir présentation de l’EPG)

Titulaire de la Société Française de Gestalt et du Certificat Européen de Psychothérapie.

Psychothérapeute et superviseur. Formateur dans une douzaine de pays.

Auteur de La Gestalt aujourd’hui, choisir sa vie, chez Retz.


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